Les entreprises les plus rentables de la French Tech en 2025 : le tournant de la maturité
Après des années de croissance à marche forcée financée par les levées de fonds, l'écosystème français de la tech connaît une mutation profonde. La rentabilité n'est plus une option, mais une condition de survie. État des lieux des champions tricolores qui ont réussi à franchir le cap.

Après des années de croissance à marche forcée financée par les levées de fonds, l'écosystème français de la tech connaît une mutation profonde. La rentabilité n'est plus une option, mais une condition de survie. État des lieux des champions tricolores qui ont réussi à franchir le cap.
Un écosystème sous pression
Le contexte est brutal. En 2025, seulement 41% des startups françaises affichent un résultat d'exploitation positif. Le reste, soit près de six entreprises sur dix, brûle encore du cash. Un chiffre qui traduit la réalité d'un écosystème longtemps habitué à privilégier l'hypercroissance sur la rentabilité, et qui doit désormais composer avec un financement plus rare et plus cher.
État de l'écosystème French Tech en 2025
Les levées de fonds ont chuté de 35% en valeur au premier semestre 2025 par rapport à l'année précédente, selon EY. Le capital-risque ne représente plus que 31% de la valeur des tours de table, contre 56% un an plus tôt. Le message est clair : les investisseurs veulent voir des profits, pas seulement des promesses.
Dans ce nouveau monde, identifier les entreprises véritablement rentables relève du parcours du combattant. La plupart des startups françaises sont privées et ne publient pas leurs résultats nets. Les licornes communiquent volontiers sur leur valorisation ou leurs levées de fonds, mais restent opaques sur leur capacité à générer du bénéfice. Quant aux classements officiels par rentabilité, ils n'existent tout simplement pas.
Les champions de la rentabilité
Pourtant, quelques entreprises émergent du lot. Voici les acteurs de la French Tech qui ont démontré, chiffres publics à l'appui, leur capacité à dégager des profits substantiels.

1. Qonto : la fintech devenue machine à cash
Avec un résultat net de 144 millions d'euros en 2024, plus du double de l'année précédente, sur environ 449 millions d'euros de revenus, Qonto s'impose comme le champion incontesté de la rentabilité dans la tech française. La néobanque B2B affiche sa deuxième année consécutive de bénéfices, une performance rarissime dans l'écosystème.
Fondée en 2016, Qonto compte désormais plus de 500 000 clients entreprises et 1 400 employés. Son modèle économique, basé sur les abonnements mensuels et les commissions sur les paiements, génère des revenus récurrents particulièrement rentables. La société a levé 622 millions d'euros depuis sa création et vise désormais une rentabilité durable sur l'ensemble de ses marchés européens.
2. Voodoo : le géant discret du mobile gaming
Le champion français du jeu vidéo mobile affiche des résultats qui feraient pâlir bien des licornes. En 2024, Voodoo a enregistré un chiffre d'affaires de 623 millions d'euros (+20% sur un an) et un EBITDA de 135 millions d'euros, en hausse de 34%. La société est rentable depuis 2017, une éternité dans le monde de la tech.
Propriétaire du réseau social BeReal acquis pour 500 millions d'euros, Voodoo tire près de 80% de ses revenus de jeux commercialisés depuis plus de deux ans. Cette récurrence démontre la solidité d'un modèle économique qui a su évoluer des jeux "hyper-casual" vers des productions plus sophistiquées. Avec 950 millions de téléchargements en 2024, la société emploie plus de 800 personnes dans 14 pays et génère désormais plus de 50% de ses revenus hors d'Europe.
3. Veepee : le pionnier du e-commerce
Anciennement connue sous le nom de Vente-privée.com, Veepee reste un acteur majeur du commerce en ligne français. En 2024, l'entreprise a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 1,8 milliard d'euros et un résultat net de 57 millions d'euros, soit une marge nette de 3,2%.
Bien que moins glamour que les nouvelles licornes, Veepee démontre qu'un modèle de vente événementielle bien rodé peut générer des profits constants, même dans un secteur aussi concurrentiel que l'e-commerce.
4. BlaBlaCar : rentable depuis 2022
Le pionnier français du covoiturage affiche une trajectoire remarquable. Avec 253 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023 (+29%) et un EBITDA positif, BlaBlaCar est rentable depuis 24 mois. L'entreprise ne communique pas le montant exact de son résultat net, mais insiste sur sa phase de "croissance profitable", un terme qui n'a rien d'anodin dans le contexte actuel.
Présente dans 22 pays, la plateforme compte 100 millions de membres et a transporté plus de 120 millions de passagers depuis sa création. Sa capacité à monétiser un modèle de mobilité partagée démontre la maturité d'une entreprise qui a su traverser plusieurs cycles économiques.
5. Back Market : l'équilibre à portée de main
La marketplace du reconditionné affiche environ 320 millions d'euros de revenus en 2023, en hausse de 45% sur un an. Si l'entreprise n'est pas encore rentable globalement, son CEO annonce une rentabilité atteinte en Europe dès 2024, son marché historique.
Avec une GMV 2024 estimée à plusieurs centaines de millions d'euros, Back Market incarne cette nouvelle génération d'entreprises qui visent un équilibre financier sans sacrifier la croissance. Un pari risqué mais nécessaire dans le climat actuel.
6. Mirakl : l'EBITDA positif enfin atteint
La plateforme de marketplace B2B affiche un ARR (revenus annuels récurrents) d'environ 177 millions de dollars en 2024 et a franchi pour la première fois le cap de l'EBITDA positif sur une année complète pour son activité historique Mirakl Platform. Après des années d'investissements massifs, la société démontre enfin que son modèle peut être profitable.
7. OVHcloud : la rentabilité opérationnelle exemplaire
Le champion français du cloud affiche pour l'exercice 2025 un chiffre d'affaires d'environ 1,08 milliard d'euros et une marge d'EBITDA ajusté impressionnante de 40,4%, soit environ 438 millions d'euros. Le résultat net est redevenu positif à 0,4 million d'euros après une perte de 10,3 millions l'année précédente.
Si le bénéfice net reste symbolique, la rentabilité opérationnelle d'OVHcloud est exemplaire et prouve qu'il est possible de rivaliser avec les géants américains du cloud tout en dégageant des marges confortables.
8. LeHibou : le membre discret du FT120
Cette place de marché de freelances IT, membre du French Tech 120, affiche une rentabilité confirmée par la presse spécialisée. Avec une prévision de 115 à 123 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2024, après 83 millions en 2023, l'entreprise illustre qu'il est possible de croître rapidement tout en étant rentable dans le secteur des services.
9. Ledger : l'année de tous les records
Le spécialiste des portefeuilles crypto a connu en 2025 "la meilleure année de son histoire" avec des revenus à trois chiffres en millions d'euros (au moins 100 millions) et une amélioration nette de sa rentabilité. La forte part de revenus de services à marge élevée a permis à Ledger de transformer son modèle économique, même si le montant exact du résultat net n'est pas communiqué.
10. Doctolib : la rentabilité enfin atteinte
Douze ans après sa création, Doctolib vient de franchir le cap de la rentabilité à l'automne 2025. "Doctolib est rentable depuis quelques semaines", a déclaré Stanislas Niox-Chateau, son cofondateur, lors d'une interview sur BFM TV. Une annonce qui marque un tournant majeur pour la licorne la plus valorisée de la French Tech (6,4 milliards d'euros).
Avec 348 millions d'euros de revenus annuels récurrents en 2024 (+22,5% sur un an) et plus de 400 000 professionnels de santé abonnés, Doctolib incarne parfaitement cette nouvelle génération d'entreprises qui basculent de la croissance à tout prix vers un modèle économique équilibré. Si le résultat net 2024 affichait encore une perte de 110 millions d'euros, l'amélioration est spectaculaire par rapport aux 168 millions de pertes en 2022.
Cette rentabilité récente, bien que fragile, symbolise le changement de cap de tout un écosystème. Elle arrive au moment où les investisseurs exigent des preuves de viabilité économique plutôt que de simples promesses de croissance.
Les absents remarqués
Ce qui frappe dans ce panorama, c'est autant qui y figure que qui en est absent. Doctolib, qui figurait encore parmi les entreprises déficitaires en 2024, a finalement atteint la rentabilité à l'automne 2025, marquant ainsi un tournant historique pour la licorne la plus valorisée de la French Tech.
Même constat pour Mistral AI, Contentsquare ou d'autres licornes médiatisées : la priorité reste souvent la croissance, pas le profit. Dans un écosystème où les levées de fonds se tarissent, cette stratégie devient de plus en plus risquée. L'exemple de Doctolib montre cependant qu'il est possible de basculer vers la rentabilité, même après des années de croissance financée.
Attention
Certaines licornes médiatisées comme Mistral AI et Contentsquare affichent encore des résultats négatifs malgré des valorisations élevées. La rentabilité récente de Doctolib montre qu'un basculement est possible, mais reste fragile.
Un changement de paradigme en marche
Les chiffres de la Banque de France confirment la tendance. En 2024, les startups françaises ont réduit de 17% leur déficit d'exploitation, une première historique. Les 59% d'entreprises déficitaires représentent 4,1 milliards d'euros de pertes cumulées, contre 5,6 milliards un an plus tôt.
Évolution de l'écosystème (2024-2025)
Cette amélioration s'accompagne toutefois d'une montée des défaillances. 57 startups ont fait l'objet d'une procédure judiciaire en 2024, et 25 supplémentaires au premier trimestre 2025. Les secteurs du e-commerce et de la santé sont particulièrement touchés. Le profil type de l'entreprise défaillante : absence de fonds propres, lourdes pertes et faiblesse de la trésorerie.
Face à ce contexte, les critères de sélection du French Tech Next40/120 ont évolué. La promotion 2025 met désormais l'accent sur les revenus plutôt que sur les valorisations papier. Résultat : près d'une entreprise sur deux (44% hors DeepTech) affiche un résultat net positif parmi les 120 sélectionnées. Un signal fort envoyé à l'écosystème.
Les ingrédients de la rentabilité
Qu'ont en commun ces entreprises rentables ? Plusieurs caractéristiques émergent. D'abord, la maturité : la plupart ont au moins sept ans d'existence et ont traversé plusieurs cycles économiques. Ensuite, un modèle économique basé sur la récurrence des revenus, qu'il s'agisse d'abonnements (Qonto), de transactions répétées (BlaBlaCar) ou de revenus publicitaires sur une base installée (Voodoo).
- Maturité : au moins 7 ans d'existence et plusieurs cycles économiques traversés
- Revenus récurrents : abonnements, transactions répétées ou revenus publicitaires sur base installée
- Indépendance financière : rentabilité atteinte avant épuisement des réserves de cash
- Positionnement de niche : marchés où la concurrence frontale avec les géants américains est moins intense
Elles ont également su limiter leur dépendance au financement externe en atteignant la rentabilité avant d'épuiser leurs réserves de cash. Enfin, elles opèrent souvent sur des marchés de niche où la concurrence frontale avec les géants américains est moins intense.
Perspectives : la fin de l'argent facile
L'année 2025 marque un tournant. Avec seulement 3 milliards d'euros levés au premier semestre (-26% en valeur), la France recule par rapport au second semestre 2024. Les méga-levées au-dessus de 100 millions d'euros se comptent sur les doigts d'une main, alors qu'elles étaient courantes il y a encore deux ans.
Financement en 2025
Les investisseurs exigent désormais des business plans avec un point de rentabilité "plus proche", pour reprendre l'expression d'un dirigeant de Bpifrance. La Rule of 40, qui mesure l'équilibre entre croissance et rentabilité, est devenue l'indicateur de référence. Les entreprises qui ne peuvent pas démontrer un chemin clair vers la profitabilité peinent à lever.
"Les investisseurs exigent désormais des business plans avec un point de rentabilité 'plus proche'"
Cette rationalisation n'est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Elle force l'écosystème à se concentrer sur la création de valeur réelle plutôt que sur les métriques de vanité. Les entreprises qui survivront à ce cycle seront plus solides, plus résilientes et, osons le mot, plus rentables.
Conclusion : vers une French Tech adulte
Le temps de l'hypercroissance financée à coup de milliards est révolu, du moins temporairement. La nouvelle génération d'entrepreneurs devra apprendre à construire des entreprises profitables dès les premières années, sans compter sur des tours de table successifs pour masquer les déficits structurels.
Les entreprises présentées dans ce panorama montrent que c'est possible. Elles prouvent qu'on peut être à la fois innovant et rentable, ambitieux et prudent, français et compétitif à l'international. Dans un écosystème qui compte désormais plus de 16 200 startups, ces quelques champions tracent la voie vers une French Tech adulte, capable de rivaliser avec les géants américains et chinois sur leur propre terrain : celui de la création de valeur durable.
La question n'est plus de savoir si la rentabilité deviendra la norme, mais combien de temps il faudra pour y parvenir. Et combien d'entreprises disparaîtront avant d'y arriver.
Sources
Les données financières citées dans cet article proviennent de sources publiques : communiqués de presse des entreprises, documents déposés au registre du commerce, études de la Banque de France et de France Digitale, ainsi que d'analyses sectorielles publiées entre 2024 et 2025.
